top of page
  • Chloé

Mon école chrétienne au Brésil: mon Fyre Festival à moi


Il y a un an, après avoir cherché des jobs de prof d’anglais en ligne, postulé « juste pour voir » dans une école internationale chrétienne au Brésil, fait des entretiens Skype, obtenu le job et décidé avec mon mari que c’était une trop belle opportunité professionnelle pour la laisser passer, j’étais embarquée dans le processus du visa et nous commencions à imaginer et rêver cette nouvelle vie qui s’offrait à nous. D'énormes changements commençaient. Thomas démissionnait d’un job à responsabilités qui lui procurait cinq ans d’expérience en une sur son CV, on donnait le préavis pour quitter notre cocon anglais adoré, je donnais le mien pour quitter mon job dans le marketing. Nous commencions à réfléchir à comment s’organiser entre notre mariage début août et la rentrée scolaire mi-août. On savait que ce serait fou, épuisant et stressant mais nous n’en étions pas à notre coup d’essai, donc on s’est lancés, tout excités.

Très vite, les choses se sont envenimées. L’école m’annonçait qu’ils n’avaient pas tenu compte d’une nouvelle loi immigration qui pourrait jouer en ma défaveur pour le visa. En résumé, ils envoyaient tous les documents nécessaires, priant pour que ça fonctionne, mais incertains du résultat. Une longue attente angoissante débuta alors. Mes mails échangés avec l’administration de l’école devenaient de plus en plus houleux, n’ayant pas des personnes très pro-actives de l’autre côté de l’ordinateur, et surtout des personnes qui avaient l’air de rien n’y connaitre. Je commençais alors à questionner l’école. Comment une école internationale qui emploie des professeurs du monde entier ne connait pas les nouvelles lois immigration? Que signifiait tous ces postes ouverts sur leur site? N’était-ce pas étrange d’embaucher autant de personnes pour une nouvelle année scolaire? Que signifiait cet énorme turn over? Mais l’école venait d’ouvrir un deuxième campus pour le secondaire, d’où le besoin en nouveaux professeurs. Je ne cherchais pas plus loin.

De Mai à Août, nous avons donc vécu dans l’attente de la suite. Nous avons bien sûr échafaudé un plan B, un voyage de quelques mois en Amérique du Sud avec la cagnotte de notre mariage. Quelques jours après le mariage, mi-août, je recevais la réponse du ministère: le visa était accepté. Maintenant il s’agissait de faire toutes les dernières démarches administratives (plusieurs aller-retour à Paris notamment) et de partir au plus vite car l’année scolaire était commencée. Entre temps j’acceptais au dernier moment d’enseigner également le français (ce dont il n’avait jamais été question) après un mail assez manipulateur de la directrice du secondaire.

Le 6 Septembre 2018, nous atterrissions sur le sol brésilien. Le président de l’école et sa femme, la directrice du primaire, sont venus nous chercher à l’aéroport. Nous avons découvert notre logement, très rustique (on ne s’attendait pas à beaucoup mieux après avoir vécu en Malaisie et en sachant que les pays en développement n’ont pas du tout les mêmes structures qu’en Europe.) Nous étions surtout contents d’avoir un petit appartement rien qu’à nous, n’avoir qu'à partager la cuisine. Matt, un ancien pasteur anglais aujourd’hui prof de cours religieux à l’école, nous a accueillis les bras ouverts, nous a invités à se servir dans ses placards pour notre petit-déjeuner et nous a emmenés faire des courses le lendemain, après un réveil magique. En effet, notre maison était située dans les montagnes de Rio, au milieu de la jungle, en hauteur, entourée par la forêt, avec une énorme piscine et une cuisine extérieure du même gabarit. Un havre de paix. C’était un long weekend férié, la plupart de nos colocataires étaient donc absents, en vadrouille dans le Brésil. Une arrivée rêvée, entourés, dans un logement très correct et magique à l’extérieur, une école qui s’occupait de tout pour nous (maison, trajet pour aller au travail, compte en banque...) C’était tellement l’opposé de la galère que nous avions vécu en Angleterre un an avant que nous étions enchantés.

Et pourtant... Très vite, nous avons déchanté. Enfin surtout moi. Nous avons rencontré petit à petit mes futurs collègues qui vivaient aussi dans la maison (notre maison était en fait une résidence dans les montagnes composée de trois logements distincts, les femmes s’en partageaient un, le pasteur et ses enfants ainsi que des collègues masculins un autre, et nous le 3ème.) Deux d’entre eux cherchaient un autre logement. La maison était éloignée de tout et surtout du centre de Rio. Un uber pour aller en ville coûtait environ 50€ aller-retour. La plage était également loin. Ils ne comprenaient pas qu’on puisse leur retirer 100€ sur leur salaire pour les forcer à rester dans un tel endroit. D’autres ont commencé à se plaindre de l’école devant moi. De l’organisation absolument catastrophique et chaotique, du manque de moyens et de supports, du manque d’aide et de soutien. En effet, ils venaient seulement, après un mois, de trouver un conducteur pour nous emmener et nous ramener. Jusqu’ici ils prenaient tous un uber chaque jour, qu’ils ne s’étaient toujours pas fait rembourser. Pour les profs du secondaire, il n’y avait ni livres ni cahiers d’exercice, ni supports pour enseigner, ni programme scolaire à suivre pour aider à la preparation des cours, ni clim ni projecteur. La directrice du primaire, femme du président, entamait sa première année en tant que telle, sans aucune expérience dans l’enseignement auparavant. Dès le lundi matin, jour de ma rentrée, j’étais plongée dans une conversation négative, pleine de ressentiment, entre mes collègues féminines. « Le couple qui possède l’école est incompétent, ne se soucie guère de ses employés et encore moins des professeurs étrangers, personne ne s’occupe de nous, lui a même failli faire fermer l’école il y a quelques années après un scandale qui a fait le tour de l’école et de toute la communauté (une relation avec une élève de 18 ans.) Sa femme était alors retournée avec leur deux ados’ aux US mais a fini par lui pardonner et revenir. Ils n’ont pas d’argent, pas de moyens, et ce second campus était une grave erreur. » Avec ma nature positive, ma résilience et surtout ma méfiance face à ce genre de conversations pleine de haine et de rumeurs (et la personne qui menait ladite conversation), je pris sur moi et n’en fis pas grand cas. Très vite toutefois, je dû me rendre à l’évidence que l’école était un sacré bordel. Très peu d’argent dans les caisses suite à l’ouverture du second campus, à tel point que mes collègues étrangers arrivés debut août n’avaient toujours pas été payés mi Septembre et parlaient de ne plus aller travailler tant qu’ils ne se seraient pas fait rémunérer. L’organisation était en effet très chaotique, je n’avais jamais vu ça, et il était très dur de comprendre comment des parents pouvaient payer si cher chaque mois pour une école internationale qui clairement manquait à ses devoirs. Certes, les cours sont tous en anglais, les professeurs viennent des quatre coins du monde (même si une majorité est étasunienne), et certes les élèves sont très heureux dans une école familiale à l’ambiance conviviale, avec un très faible taux de harcèlement. Très vite, je compris à qui j’avais à faire, de tous côtés.

La plupart des parents sont de fervents chrétiens pour qui l’enseignement religieux compte bien plus que celui académique. Les professeurs et personnes de l’administration qui sont brésiliens sont « bloqués » dans une école qui leur offre un meilleur salaire que la plupart des entreprises brésiliennes et de meilleures conditions de travail en général. Il leur est donc très difficile de se plaindre. De plus, la plupart des employés, du moins les brésiliens et ceux qui sont très pratiquants, vivent l’expérience davantage comme une mission religieuse qu’un « simple » job et sont prêts à passer sous silence de nombreuses aberrations au nom de la communauté religieuse et de Dieu, qui finira toujours par venir en aide à l’école et à ses employés.

Le couple qui possède l’école, surtout lui, sont des manipulateurs. Ce sont deux personnes pleines d’insécurités qui ont donc un énorme besoin de plaire, de contrôler, de réussir, et de prouver des choses au monde entier, excepté à eux-mêmes. Il fallait les voir se pavaner à la fête de Noël et s’approprier tous les compliments, en mentionnant à peine la team derrière qu’ils ont forcée à travailler un nombre d’heures supp’ incalculables. Etant considérée professeur «elective» (optionnel, est utilisé dans le jargon éducatif étasunien pour désigner une matière optionnelle ou qui n’est pas une principale, à l’école il s’agit des profs de sport, musique, art et français), je fus l’une de ces profs qui n’eut pas le choix et dû travailler de 10h à 22h sur le spectacle le jour J, et surtout en faisant sauter mes cours d’anglais (alors que les élèves à qui j’enseigne peinent à suivre dans les matières principales à cause de leur niveau d’anglais justement.) Je découvris très vite le visage de ce couple: une jolie façade pour cacher de l’incompétence, des mensonges, un couple qui semble s’être écroulé depuis longtemps, des financements douteux, lui ne cachant à personne qu’il s’est installé au Brésil car il est beaucoup plus facile de faire les choses illégalement ici qu’aux US. Un homme qui montre une vie policée et une réussite brûlante sur les réseaux sociaux quand son école tombe en lambeaux derrière les rideaux.

Très vite, c’est-à-dire vers la fin du premier semestre (Décembre), nous décidons avec Thomas de ne pas rester l’année suivante (mon contrat est normalement de deux ans mais disons que je n’en ai jamais signé sur papier car soi-disant ça ne se fait pas au Brésil, et l’école n’a pas respecté ses engagements bien avant moi.) Thomas ne parle pas suffisamment portugais pour trouver un job d’ingénieur correct ici et les opportunités sont beaucoup moins alléchantes qu’en Europe. Il décide donc de profiter du second semestre pour travailler sur un projet personnel qu’il a en tête depuis son école et nous commencerons à préparer la suite plus tard.

Mark, mon collègue étasunien prof d’histoire, avec plus de sept ans d’expérience à l'international dont cinq en Chine (payé en un mois ce que l’école nous paye en un an), décide également de faire ses valises. Toutefois, il souhaite rester au Brésil, si possible à Rio, et sait que ça s’annonce difficile. En effet, le président a le bras long. Il connaît tous les directeurs des diverses écoles internationales à Rio et un seul appel peut terminer un processus d’embauche. C’est arrivé avec l’autre prof d’histoire de l’école. Alors qu’il était sur le point de se faire embaucher par l’école américaine de Rio, avec un salaire triple notamment, le directeur de ladite école a appelé notre président pour obtenir une référence. Celui-ci a préféré s’épandre sur le fait qu’ils avaient vraiment besoin de garder L. et qu’il leur serait donc reconnaissant de ne pas leur « prendre. » Ce qui marcha puisque L. ne se fit jamais embaucher par l’école américaine, ni aucune autre à Rio d’ailleurs. Avec Mark ce fut quelque peu différent. Il se fit contacter par une école internationale à Bahia, dans le nord du pays. Après de très bons entretiens, l’école décide de certainement l’embaucher mais souhaite d’abord une lettre de recommandation. Mark la demande à la directrice du secondaire, qui fait mine d’oublier, plusieurs fois, pendant deux mois. L’école abandonne le projet d’employer Mark. Il fera sa deuxième année comme prévu, « bloqué. »

Le 26 Décembre, alors que nous célébrons tous la période de Noël, Thomas et moi sommes à Mendoza en Argentine pour notre lune de miel. Je reçois alors un mail du président. Suite aux problèmes financiers de l’école, il a donné un préavis pour quitter la maison où nous vivons, clôt tous les appartements aux alentours de l’école où vivaient certains profs (ceux-là étaient plus chers mais l’école prenait toutefois une partie du loyer en charge) et a acheté une villa pour mettre tout ce beau monde ensemble. Avec seulement mon salaire, et parce que nous savons déjà que nous partirons dans quelques mois, nous n’avons pas vraiment le choix que de s’y installer. Difficile de faire le deuil de notre havre de paix et d’une équipe qui commençait tout juste à vivre ensemble parfaitement. La maison est grande, notre logement est davantage moderne et moins rustique, et surtout nous sommes à 10km de l’école, et a une minute de la plage. Nous sommes au bout du quartier de Barra, quartier riche et très sécurisé. Toutefois, le logement s’avère très vite être vieux et mal entretenu (comme la plupart des infrastructures ici) et lorsqu’il pleut notre chambre est inondée. Etre dans le jardin et au bord de la piscine est à peine possible à cause du bruit ambiant, et de la route qui passe au-dessus de notre maison. Et surtout, nous vivons maintenant à seize dans une maison avec uniquement des personnes de l’école ainsi que le couple de directeurs. Mode big brother et vie absolument fermée et malsaine activés... Mon expérience ici atteint des sommets après cette installation. 

Nous vivons notamment avec le " club des 5 " (le président et sa femme, l’assistant du président et sa compagne, et un ami des deux couples qui leur mange dans la main.) Nous sommes sortis avec eux au début de notre cohabitation, après plusieurs demandes insistantes de leur part, et j’ai ainsi passé les pires soirées de mon année ici. Le "club des 5" est plein de haine, critique ouvertement et sans relâche quiconque ne pense pas comme lui, n’a aucune gratitude pour les professeurs qui travaillent dur pour un salaire de misère, n’a aucune notion d’empathie ni de réalité apparemment. Le couple de directeurs déteste le campus du secondaire et ses profs’, et le "club des 5" passe son temps à critiquer avec aigreur la directrice de celui-ci. Les écouter est épuisant, hallucinant, et rageant.

En Mars, il a fallu remplacer l’institutrice de CM2 partie en congé maternité. Ils ont fait venir une chilienne de 27 ans. Après seulement deux semaines, celle-ci s’est cassé le pied et est rentrée au Chili pour sa convalescence. Durant ces deux semaines, la compagne de l’assistant du directeur (cf. "Club des 5"), a mis le nez dans ses cours et a clairement fait savoir qu’elle ne l’aimait pas. En a résulté son licenciement, avant la fin de son CDD et deux jours avant son retour au Brésil. Un deal a été convenu afin qu’elle reste gratuitement dans la maison pendant deux mois pour chercher du travail à Rio où elle souhaitait rester. N’étant pas payée ce qui lui était dû (notamment car ici aussi il faut indemniser un employé quand on casse un CDD), la chilienne à lancé une procédure avec un avocat. Les choses se sont donc envenimées, l’école refusait d’envoyer des mails (preuves écrites), ils ont fini par la mettre dehors. Le jour-même, elle devait être partie à 15h de la maison, clés sur la table de l’entrée. M., femme seule de 27 ans, s’est retrouvée à la rue, dans un pays étranger, en parlant à peine la langue. En parallèle, le responsable des ressources humaines s’est senti menacé par l’histoire (vraie) que pouvait raconter M. quant à leurs échanges et a profité d’un meeting avec toute l’école pour lui cracher dessus ouvertement, dire qu’elle était folle et nous demander de nous méfier d’elle. Certains de mes collègues étaient indignés, se sentant même malades physiquement face à l’irréalité de la situation. Moi, j’étais soulagée que d’autres personnes comprennent enfin mon ressenti des derniers mois... C’est alors que nous avons commencé à comparer l’école à un très mauvais soap opera.

Nous sommes le 12 Mai. Au Brésil, la loi stipule que les employés doivent être payés le cinquième jour du mois maximum. Avec le 1er Mai férié, et le weekend, la deadline était donc mercredi dernier, 8 Mai. N’ayant toujours rien reçu le jeudi 9, l’école nous explique qu’en fait le compte bancaire est bloqué depuis un mois car ils n’ont pas actualisé des papiers administratifs. (En faisant des recherches en ligne, nous sommes plusieurs à avoir trouvé que le compte bancaire d’une compagnie ne peut être bloqué qu’en cas de procédure judiciaire, notamment en cas de dettes.) Par miracle, le compte est débloqué le vendredi. Toutefois, l’école n’a pas encore un accès total aux fonds. Le vendredi soir, le représentant des ressources humaines et le responsable des finances déposent des chèques pour chacun des employés à la banque, au lieu du transfert habituel, et rapide. Hier, samedi 11 Mai, mon compte en banque n’était toujours pas approvisionné. Ne pas payer ses employés à temps, à intervalle irrégulier et à plus d’un mois d'intervalle est un délit. Pendant trois jours, le président s’est à peine excusé et ne nous a jamais remerciés de continuer à venir travailler. Le vendredi, alors qu’il annonçait le déblocage du compte et la procédure avec les chèques, il fut traité en héros et des messages de remerciements sont même apparus. Surtout, le président a osé un message culpabilisant « c’est dans des situations comme celles-ci que nous découvrons les vrais visages des gens. Nous sommes reconnaissants pour ceux d’entre vous qui ont envoyé des messages de soutien et résisté aux rumeurs et à la désinformation. » Suite à ce message aberrant, des messages religieux du personnel ont plut dans notre groupe whatsapp: « dans ces situations, nous devons être reconnaissants pour ce que nous avons et non ce qui manque. Les plans que Dieu a sont rarement les nôtres. » « Je vous dis, ne vous inquiétez pas de ce que vous allez manger ou boire, ce que vous allez porter. La vie n’est-elle pas plus importante? [...] Votre Père nourrit les oiseaux, n’avez-vous pas plus de valeur qu’eux? » « Nous devons prier pour l’équipe en charge de l’école. La Bible dit que nous devons d’abord prier pour les détenteurs de l’autorité. »

***

Mercredi soir, alors que je courrais, j’ai écouté un TedTalk très intéressant. Une activiste du Togo qui parle de démocratie et autocratie. Elle dit que son pays est la plus vieille autocratie du monde. La même famille est au pouvoir depuis 51 ans. Les peuples des pays développés et des démocraties se demandent toujours comment ces peuples oppressés peuvent le rester aussi longtemps, sans jamais se rebeller. Sont-ils stupides? Elle explique que des rébellions il y en a pleins. De la torture aussi. Elle est activiste et cherche à changer les choses dans son pays depuis qu’elle a vu une amie se faire torturer alors qu’elles n’avaient que 13 ans. Seulement voila, très vite le gouvernement a menacé sa famille. Celle-ci lui a donc demandé de partir pour ne pas les mettre en danger. Depuis, elle vit aux Etats-Unis, où elle change d’endroit tous les mois pour ne pas être retrouvée par le gouvernement du Togo. Elle mentionne un problème crucial dans cette dynamique de peuple oppressé qui le reste: la façon dont les médias relayent ces histoires en ne se concentrant que sur la partie effrayante, mortelle, la torture, plutôt que sur les histoires d’espoir, d’activistes qui ont réussi à s’échapper ou faire avancer les choses.

Après son TedTalk, il m’a été difficile de ne pas créer un parallèle (dans une moindre mesure attention), avec la situation à l’école. Les professeurs qui ne peuvent pas quitter l’école car le président a le bras tellement long qu’il les en empêche. Les professeurs qui la quittent mais n’osent rien dire ni faire de peur de ne pas être payés ou même blacklistés dans d’autres écoles, jusqu’en Europe. Ces brésiliens qui n’ont de meilleur choix que cette école et subissent, silencieux et dociles. Les discours manipulateurs et culpabilisants qui s’inscrivent dans les cerveaux. A quel point traiter le président en héros quand le compte fut débloqué parce que cela donnait de l’espoir à ces gens qui n’avaient pas encore payé leur loyer ni leurs factures, qui n’avaient pas encore acheté à manger pour leur famille, plutôt que rester concentré sur l’illégalité et l’irréalité de la situation, est un exemple parfait d’oppression et de manipulation. On donne juste ce qu’il faut au peuple pour qu’il continue à vivre sans se rebeller car c’est plus simple ainsi.

Enfin, comment ne pas y venir? La religion. Je pense que mes exemples ci-dessus sont suffisants à décrire à quel point elle joue un rôle essentiel dans le processus entier. Réfléchissez, visualisez à une échelle nationale: jusqu’où la religion permet-elle de justifier (ou d’étouffer) des agissements? Jusqu’où la religion permet-elle d’accepter une condition?...

Face à ces situations parfois irréelles, à ces gens haineux qui n’ont pas conscience de leurs propres agissements, à ce manque d’empathie, face à la religion, je me suis moi-même perdue quelques fois. Tant de fois (et encore aujourd’hui), je ne saurais ni expliquer ni assimiler ce que je ressens vraiment. Je n’intègre pas toujours ce qu’il se passe autour de moi. Je me suis fermée, moi qui suis d’un naturel social et qui ai besoin du «groupe.» J’ai refusé d’aller au devant de certaines personnes car je devenais méfiante. J’ai enfilé une armure pour affronter tout cela, tout en étant toujours une éponge (car c’est ma nature), et en rentrant enragée, hallucinée, malade, épuisée par tout ce que je voyais et entendais, devant mon mari qui ne comprenait pas que je puisse prendre tout cela tellement à cœur. Jusqu’à ce que mes collègues aussi mentionnent être malades physiquement de la situation, jusqu’à discuter avec le compagnon d'une collègue qui lui a dit que lui aussi était fatigué par l'école à travers elle. J’ai moins donné de nouvelles à mon entourage en France, prise dans mon travail mais aussi et surtout dans cette vie tellement singulière que personne ne peut vraiment comprendre. Je me suis fermée à eux aussi, ma force, ma communauté, les miens. Jusqu’à ce que ma mère nous rende visite et que je me recentre sur l’essentiel, qui n’est pas ici (à part Thomas), mais bel et bien à 10 000km. Cette marginalisation de moi-même, cet enfermement «volontaire» dont j'avais à peine conscience, sont autant d’exemples du contrôle et de la manipulation.

Je ne souhaite pas faire de raccourci douteux, et l'école n'est clairement pas une dictature, on en sort quand on veut (ou presque.) Mais c'est une expérience humaine qui fait indéniablement réfléchir à tout cela. 

Nous sommes le 12 Mai, et j’entame la dernière ligne droite de mon Fyre Festival à moi.

***

[Heureusement, j’ai appris et grandi professionnellement en un an l’équivalent de cinq ans. Je suis maintenant familière avec les méthodes, programmes et tests américains. Les profs sont exceptionnels et certains sont devenus de véritables amis. Nous sommes très solidaires et l’équipe pédagogique est très professionnelle. J’ai une relation très privilégiée avec mes élèves dont j’ai réussi à gagné la confiance après quelques mois, même des ados’ les plus réticents, et l’indépendance et la liberté que nous avons dans notre enseignement - couplé à mon évolution professionnelle - font que je travaille sur des projets que j’adore avec eux, soutenue par l’école qui est certes chaotique, surtout administrativement, mais avant-gardiste et alternative également, et très encline à sortir des sentiers battus. Je travaille actuellement sur une adaptation d’Hamlet en cours d’anglais avec mes 4ème. Ils ont décidé d’établir la scène en Italie dans les années 80’, ont déjà regardé les habits typiques de l’époque, ont donné des noms plus modernes aux personnages. Hamlet est devenu une femme et Ophelia un homme (on m’a proposé un couple de lesbiennes mais c'est moyen dans une école chrétienne.) J’adore mon travail et rien ne me fait plus plaisir (la plupart du temps) que ces moments de franche rigolade avec eux, les voir s’exciter entre eux, débattre et fourmiller d’idées.] 


115 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page